Les années 60
Le
cas Bob Dylan
Le
singulier Bob Dylan a été à l’origine de plus
d’une révolution. Avant lui, personne n’aurait oser se
déclarer chanteur avec une voix si nasillarde. En étant
l’un des premiers à jouer aussi brillamment la carte de
l’introspection et des textes bien écrits, il a pavé la
route à quantité de compositeurs portés sur
l’intime. Capable de passer d’un style à un autre, Bob Dylan
n’a jamais été aussi populaire que lors des
années soixante.
Bob Dylan
The freewheelin'Bob Dylan
En
1963, lorsqu’il sort ce disque, Dylan est un inconnu qui a
entamé sa carrière un an auparavant avec un album de
reprises folk ni mieux ni moins bien que l’ensemble de la production
des nombreux pratiquants du genre essaimant alors Greenwich Village.
Avec « The Freewheelin’Bob Dylan », c’est
autre chose : une star est née. Une chanson, Blowin’In The
Wind , déchaîne les foudres des puristes folk qui y
voient une tentative très démago de séduire le
grand public. Le grand public, quant à lui, est effectivement
largement séduit.
D’autant que cet album à la pochette mythique
(Suze Rotolo, petit amie de l’époque, est au bras d’un Dylan
qui pourrait sortir d’un vieux Cassavetes) recèle
également d’autres diamants, comme cette première
version du sublime Girl From The North Country, Masters Of War, Don’t
Think Twice, It’s All Right ou encore A Hard Rain’s A-Gonna Fall…
Un
vrai coup de maître donc, et une leçon de songwriting
qu’on n’a toujours pas fini d’étudier en transpirant à
grosses gouttes.
Bob Dylan
Subterranean homesick blues
Une pochette sublime, une face électrique,
l’autre acoustique, et une enfilade de morceaux à se damner…
Il n’en fallait évidemment pas plus en 1965 pour que Dylan,
déjà bien placé dans les sondages, ne se
retrouve à régner impérialement sur une cour de
surdoués.
L’ancien héros des protest songs devient un
cynique féroce et fait chauffer les amplis, avant – sur
l’ancienne face B – de récupérer sa guitare acoustique
et de porter l’estocade en alignant, en un stupéfiant
marathon, rien moins que Mr. Tambourine Man, Gates Of Eden, It’s
Alright, Ma (I’m Only Bleeding) et It’s All Over Now, Baby Blue. Du
jamais vu, mais surtout, du jamais ouï…
Bob Dylan
Highway 61 revisited
A
côté de ce chef-d’œuvre de hargne électrique, le
précédent album de Dylan, « Subterranean Homesick
Blues », pourtant révolutionnaire, paraît bien
sage. Dès le formidable Like A Rolling Stone qui ouvre le
disque, le ton est donné : de superbes chansons au son acide,
presque garage, où s’illustrent l’orgue de Al Kooper et la
guitare de Michael Bloomfield, emmenées pied au plancher par
un Dylan survolté (Tombstone Blues, From A Buick 6, Highway 61
Revisited).
Lorsque le tempo ralentit, l’urgence est encore
là, dans les textes (le célèbre Ballad Of A Thin
Man) et dans la voix amphétaminée de Dylan. En
conclusion de ce disque extraterrestre, l’épique et sublime
Desolation Row sonne comme un rappel du Dylan « ancien ».
Magnifique.
Bob Dylan
Blonde on blonde
Monument absolu des sixties et du rock en
général, historique premier double album, « Blonde
On Blonde » est une sorte d’Everest qu’on attaque par tous les
versants sans jamais parvenir à en faire le tour. C’est un
Dylan en dandy électrique et excentrique, l’esprit
sensiblement vrillé, Lewis Carroll des temps modernes, qui
enregistre ici le manifeste qui cloua instantanément sur place
tous ses collègues/rivaux de l’époque.
Déglingué mais terriblement sec et
nerveux, « Blonde On Blonde » accumule les perles, arrache
les larmes (I Want You, Just Like A Woman), excite les hanches
(Absolutely Sweet Marie) et trouble les neurones (Visions Of Johanna,
Rainy Day Women Nos 12 & 36).
En
entendant ça, Hendrix, les Stones, les Beatles et les autres,
se demandaient illico comment ils allaient bien pouvoir faire pour y
survivre… C’est dire l’incommensurable force de ce disque
titanesque.
Bob Dylan
Blood on the tracks
Pour beaucoup, il s’agit ici du meilleur Dylan, du
plus profond, du plus beau, du plus remuant. Enregistré avec
une bande d’inconnus pratiquant des instruments exclusivement
acoustiques juste après sa séparation d’avec la femme
de sa vie Sara, « Blood On The Tracks » mit le monde entier
à genoux, d’autant plus que ses précédentes
livraisons, dont les redoutables « New Morning », «
Dylan » et « Self Portrait » avaient largement
entaché la légende jusqu’ici immaculée.
Avec « Blood On The Tracks », c’est un
Dylan absolument nouveau qui arrive. Autobiographique, plus simple
dans ses textes et efficace dans ses mélodies, le Zim de 1975,
bien que blessé (voir le titre de l’album), est paradoxalement
en très grande forme artistique. De ces dix chansons
impérissables naît une cohérence rare qui est le
privilège des chefs-d’œuvre.