Selon la Charte de l'ONU, le maintien de la paix
repose exclusivement sur le Conseil de Sécurité comme en témoigne l'article
42 qui stipule que le Conseil peut entreprendre toute action qu'il juge nécessaire
au maintien ou au rétablissement de la paix.
Or, du fait du contexte particulier de la Guerre Froide, le Conseil de sécurité
s'est trouvé confronté au problème du veto de ses membres permanents et son
action en matière de maintien de la paix s'est trouvée paralysée.
Pour pallier ce problème, la résolution 377 du 3 novembre 1950 de l'Assemblée
Générale " Union pour le maintien de la paix " dite résolution Dean
Acheson a mis en avant le rôle moteur de l'Assemblée Générale en cas de
paralysie du Conseil de Sécurité. La saisine de l'Assemblée se fait soit par
l'assemblée elle-même par un vote à la majorité de ses membres , soit à la
demande du Conseil de Sécurité par un vote affirmatif de neuf quelconques de
ses membres. La résolution opère un transfert à l'Assemblée d'une
responsabilité dans le maintien de la paix. Cette résolution a permis à l'AG
de décider de l'envoi d'une force de maintien de la paix à la suite de la
crise de Suez en créant la FUNU (force d'urgence des nations unies) . Contraire
aux intérêts français et britanniques, cette force avait pour mission de vérifier
le retrait effectif des troupes et de pacifier la région.
« La défense de la France ne se joue plus immédiatement à ses frontières. Elle dépend du maintien de la stabilité internationale, de la prévention des crises, en Europe ou hors d’Europe, qui, dégénérant, mettrait en péril nos intérêts et notre sécurité » Edouard Balladur, Premier Ministre, Préface au Livre Blanc sur la Défense, 1994
INTRODUCTION
La présence française au sein du système des Nations Unies, et plus particulièrement dans le cadre du maintien de la paix, constitue un des axes autour desquels se définit la politique étrangère de la France. Mais, la position française vis-à-vis de l’ONU a évolué au cours des quelques cinquante ans d’existence de cette organisation. Pendant les 20 premières années, en pleine période de guerre froide et de décolonisation, les relations franco-onusiennes sont placées sous le signe de la défiance, voire de l’hostilité. A partir de 1965, alors que les griefs mutuels s’estompent, Paris prend peu à peu conscience des possibilités que le multilatéralisme peut offrir à la « moyenne grande puissance » (Thierry Tardy) qu’est la France. Mais, c’est surtout à partir de 1990 que la France investit sans réserve dans l’ONU, participant activement aux opérations de maintien de la paix. Ces opérations, créées afin de remédier à la paralysie qui résultait de l’antagonisme est-ouest, sont instaurées avec pour but, non de réprimer l’auteur d’un acte illicite, mais de s’interposer pour trouver une solution négociée. Il s’agit donc d’opérations non coercitives visant à garantir et à accompagner la fin des hostilités entre deux Etats. Cependant, compte tenu de l’évolution des opérations de maintien de la paix, on peut s’interroger sur la portée réelle de l’action française. La question est de savoir si la France est, comme le laisserait penser sa contribution et son statut de membre permanent, une puissance importante en matière de maintien de la paix, ou bien si son action est limitée, notamment en raison des limites de l’ONU elle-même. Dans ce sens, la réforme de l’ONU devient une priorité de la politique étrangère française, nécessaire au maintien du statut de la France dans cette organisation
I. EVOLUTION DE LA POSITION FRANCAISE DANS LE CADRE DES OPERATIONS DE MAINTIEN DE LA PAIX : DE LA RETICENCE AU SOUTIEN ACTIF
1 – Des relations conflictuelles entre la France et l’ONU (1947-1965).
Dès le départ, la France se situe à mi-chemin entre l’aspiration sincère à mettre en œuvre le projet de l’organisation mondiale naissante et une ferme volonté de servir ses intérêts nationaux, via l’organisation.
La place de la France au sein de l’ONU ne va pas de soi, en raison de la méfiance du président Roosevelt envers le gouvernement provisoire du général De Gaulle, qu’il ne reconnaît officiellement que le 23 octobre 1944. De ce fait, la France ne signe la Déclaration des Nations Unies du 1er janvier 1942 que le 1er janvier 1945. Elle n’obtient donc que tardivement l’assurance de faire partie des membres permanents du Conseil de sécurité, et ne participe à la Conférence de San Francisco qu’en tant que puissance invitée. De plus, la France accueille la création de l’ONU avec prudence. Si, en effet, celle-ci peut aider à rehausser le prestige d’un pays à la recherche d’un nouveau positionnement, le général De Gaulle y voit aussi les germes d’une structure qui pourrait venir s’immiscer dans les affaires intérieures françaises. De 1945 à 1964, la position française sur les activités de maintien de la paix de l’ONU est en effet dominée par les contraintes de la guerre froide et des conflits coloniaux. La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité déchiré de l’intérieur par les deux questions majeures de l’immédiat après-guerre : le conflit Est-Ouest (existence d’un très fort parti communiste) et la décolonisation. Sous la IVe République, les relations entre la France et l’ONU, dominées presque exclusivement par la question coloniale, sont donc difficiles. La France participe bien à la guerre de Corée sous l’égide de l’ONU, mais n’y joue aucun rôle particulier. Sa contribution est exclusivement militaire (elle y envoie un bataillon de volontaires), la direction des opérations revenant quasi exclusivement aux Etats-Unis.
Dès 1946, la France est montrée du doigt à propos de l’occupation du Liban. Mais c’est surtout à propos de « la question algérienne » que la France et l’ONU s’affrontent. Alors que l’Assemblée générale reconnaît le « droit du peuple algérien à l’autodétermination », la France dénie à l’ONU toute compétence en ce domaine. L’opposition française à l’Assemblée générale atteint son paroxysme en 1955 lorsque, après avoir menacé de se retirer de l’ONU dans le cas où la question algérienne serait inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale, la délégation française, dirigée par A.Pinay, quitte la salle.
Alors qu’au milieu des années cinquante les relations entre la France et l’ONU sont particulièrement tendues, la crise de Suez et le fiasco de l’opération franco-britannique qui s’ensuit vont aggraver la situation. Du côté français, il s’agit autant de régler le problème du canal que de s’en prendre à un pays qui soutient largement le Front de libération nationale (FLN) algérien. A l’ONU, l’URSS vote avec les Etats-Unis, afin de contourner le double veto opposé par la France et la Grande-Bretagne. C’est au cours de cette affaire qu’à l’initiative du secrétaire général Dag Hammarskjöld est constituée la première opération de maintien de la paix, la Force d’urgence des Nations Unies dans le Sinaï (FUNU). La première force de maintien de la paix est donc créée contre la volonté de la France.
Le retour du général De Gaulle le 1er juin 1958, en pleine crise algérienne, ne laisse en rien présager un quelconque apaisement des relations franco-onusiennes. Cette crise prend d’abord la tournure d’un affrontement personnel entre le Secrétaire général de l’ONU et le général De Gaulle, qui s’en prend violemment à l’ONU, dénigrée sous le nom de « machin ».
Mais, avec l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962, les attaques de l’Assemblée générale cessent et ce qui fut la plus grande source de confrontation entre la France et l’ONU disparaît.
Cependant, l’opération de maintien de la paix que l’ONU montait au Congo-Kinshasa à partir de 1960 constitue une nouvelle épreuve pour les relations franco-onusiennes. Dans un premier temps, la France ne se déclare pas opposée à l’envoi d’une force des Nations Unies (ONUC) ; mais, nourrissant malgré tout une certaine méfiance vis-à-vis de l’opération, la France adopte une politique de réserve. En particulier, elle s’oppose à toute ingérence dans les affaires intérieures du Congo, et conteste la légitimité du rôle joué par le Secrétaire général dans la direction des opérations. Mais c’est surtout à propos du financement de l’opération que de graves dissensions apparaissent entre la France et l’ONU. En fait, la France conteste une résolution de l’Assemblée générale qui exige des Etats qu’ils assurent le financement de l’ONUC ; et refuse donc de contribuer à ce financement.
La seconde moitié des années 60 marque la fin de la période de confrontation entre la France et l’ONU. En effet, avec l’indépendance de l’Algérie, le règlement de la crise financière des opérations de maintien de la paix et le remplacement de Dag Hammarskjöld par le Birman U Thant en 1961, l’essentiel des griefs entre la France et l’ONU disparaît.
Cette détente se poursuit avec Valéry Giscard d’Estaing, qui rompt délibérément avec l’approche gaulliste de l’ONU : la participation de la France, pour la première fois, à une opération de maintien de la paix au Sud-Liban, en mars 1978, confirme l’engagement français dans l’ONU et le ralliement de Paris à un concept longtemps critiqué. Pour la France, cette 1ère participation à une force de maintien de la paix est un succès diplomatique, même si elle est loin d’être un succès militaire, en raison du mandat peu réaliste donnée à la FINUL.
2 – Une implication de plus en plus marquée de la France depuis la fin de la guerre froide
Si le tournant décisif dans la politique française à l’égard du maintien de la paix est le déploiement d’un contingent français au Sud-Liban, la fin de la politique des blocs permet à la France de se placer en première ligne dans l’ONU. En effet, à partir de 1985 et, surtout, de 1990, cette fermeté de l’engagement onusien de la France s’exprime notamment par une forte participation aux opérations de maintien de la paix.
Le règlement du conflit cambodgien est ainsi l’occasion du premier engagement d’envergure de la France au service des Nations Unies depuis la FINUL. En effet, au Cambodge, la France joue un rôle de tout premier plan. Elle multiplie les missions de médiation entre les différentes parties khmères, accueille à Paris, pendant l’automne 1991, la Conférence internationale sur le Cambodge. Elle prend part à l’accord général de paix en octobre 1991, qui prévoit, entre autres, la mise en place de l’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC) chargée notamment d’organiser des élections libres. Très impliquée dans le règlement politique du conflit – au point que son représentant au Conseil a pu dire qu’il « est admis que la France est le chef de file du Conseil sur la question du Cambodge » - la France l’est aussi sur le plan militaire : avec une contribution de près de 1500 hommes, elle fournit alors à l’ONU son plus gros contingent. De cette opération, les français dressent un bilan mitigé tant pour les résultats politiques de l’opération que pour le mode de fonctionnement des Nations Unies. En fait, la France conteste l’absence d’une réelle politique de coopération entre les départements, qui nuit à l’efficacité de l’ensemble.
Pendant que se déroule l’opération au Cambodge, un demi-succès, l’opération en Somalie se dégrade et constitue un total échec. D’abord sous commandement américain, avec l’opération militaire « Rendre l’espoir » (décembre 1992), puis sous commandement onusien au sein de l’ONUSOM II (mai 1993), la France fournit jusqu’à 2000 hommes.
Mais, c’est en Yougoslavie que l’engagement français est le plus important, au sein de la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU).
Au Rwanda, ravagé depuis avril 1994 par le génocide de la minorité tutsie par la majorité hutue et par la reprise de la guerre civile, la France réussit à convaincre l’ONU de lui donner l’aval juridique lui permettant d’intervenir militairement. Par la résolution 929 du 22 juin 1994, le Conseil de sécurité l’autorise en effet à conduire une opération humanitaire utilisant éventuellement la force en attendant que la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) soit assez forte pour relayer les Français. Malgré un certain rôle pacificateur, l’intervention française est fortement critiquée : on a notamment relevé l’ambiguïté de la politique française et souligné l’idée que l’opération Turquoise, mobilisant plus de 2000 militaires français, est arrivée trop tard pour éviter le génocide.
Au delà des interventions militaires, la France contribue, dans les années 80, à faire prendre par les organes compétents des résolutions qui traduisent une certaine évolution du droit international dans le domaine humanitaire : c’est l’idée d’un « droit d’ingérence humanitaire », terme qui ne figure dans aucun texte officiel. En effet, en faisant adopter, le 8 décembre 1988, par l’Assemblée générale de l’ONU, la résolution 43/131 sur « l’assistance humanitaire en cas de catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre », la France lance le processus qui jette les bases de ce concept de « droit d’ingérence ». La France est également à l’initiative des résolutions 45/100 en 1990, qui met en place les « corridors humanitaires », et 688 du Conseil de sécurité condamnant la répression irakienne contre des populations civiles, notamment kurdes. Ainsi, alors qu’elle a défendu avec détermination, dans les années 50 et 60, les principes de souveraineté de l’Etat, la France se fait aujourd’hui le chantre du droit d’assistance humanitaire. Dans ce sens, le président Mitterrand déclare le 30 mai 1989, devant la CSCE, que « l’obligation de non-ingérence s’arrête à l’endroit précis où naît le risque de non-assistance ». La France, connue pour l’activisme de ses ONG, soutient donc ces dernières dans leur action sur les lieux des opérations de l’ONU ; allant même dans certains cas jusqu’à financer cette action, comme dans le cadre de l’opération de l’Onu en Haïti pour Médecins du Monde, financé par le ministère français de la coopération. Ces principes humanitaires sont également repris dans des résolutions concernant la Somalie et l’ex-Yougoslavie. Cependant, même si elle paraît plus ou moins acceptée, pour certains, cette action humanitaire française ne constitue qu’un alibi de l’inaction politique.
. 3. Stabilité de la position française au-delà de son apparente évolution.
En dépit des apparences, la politique française à l’égard de l’ONU a cependant été stable et ce en raison de trois facteurs :
- Attachement français à l’équilibre institutionnel de l’ONU
La France a toujours été très attachée à l’équilibre institutionnel de l’ONU qui permet un équilibre entre Conseil de Sécurité et Assemblée Générale du fait de son siège permanent au sein du Conseil de Sécurité. Selon la Charte de l’ONU, le maintien de la paix repose exclusivement sur le Conseil de Sécurité comme en témoigne l’article 42 qui stipule que le Conseil peut entreprendre toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix.
Or, du fait du contexte particulier de la Guerre Froide, le Conseil de sécurité s’est trouvé confronté au problème du veto de ses membres permanents et son action en matière de maintien de la paix s’est trouvée paralysée. Pour pallier ce problème, la résolution 377 du 3 novembre 1950 de l’Assemblée Générale « Union pour le maintien de la paix » dite résolution Dean Acheson a mis en avant le rôle moteur de l’Assemblée Générale en cas de paralysie du Conseil de Sécurité. La saisine de l’Assemblée se fait soit par l’assemblée elle-même par un vote à la majorité de ses membres , soit à la demande du Conseil de Sécurité par un vote affirmatif de neuf quelconques de ses membres. La résolution opère un transfert à l’Assemblée d’une responsabilité dans le maintien de la paix. Cette résolution a permis à l’AG de décider de l’envoi d’une force de maintien de la paix à la suite de la crise de Suez en créant la FUNU (force d’urgence des nations unies) . Contraire aux intérêts français et britanniques, cette force avait pour mission de vérifier le retrait effectif des troupes et de pacifier la région.
Cependant, l’abandon progressif fait de l’application de cette résolution, en particulier avec la fin de la Guerre froide, a coïncidé avec la volonté française de renforcer le rôle joué par le Conseil de Sécurité. Les opérations de maintien de la paix sont ainsi désormais le fait du Conseil.
- Evolution des opérations de maintien de la paix.
Les OMP ont connu une évolution, passant des OMP au sens strict comme ce fut le cas pour les opérations basées sur le chapitre VI de la Charte et qui respectaient les trois principes à savoir le consentement, l’impartialité et l’interdiction de faire usage de la force sauf en cas d’auto-défense.
Avec l’apparition de l’ingérence humanitaire dans les OMP, le recours au chapitre VII s’est banalisé. On a ainsi pu parler de seconde génération d’OMP du fait de l’extension du rôle de ces opérations qui devaient désormais consolider la paix en favorisant la démocratie et la tenue d’élections libres (ex : Cambodge), en désarmant les factions rivales, en protégeant les droits de l’homme, en acheminant de l’aide,….
En outre, les caractéristiques de l’OMP à savoir le consentement nécessaire de l’Etat et le principe de non-utilisation de la force armée sauf en cas de légitime défense, dues à leur création par l’AG, encore présentes dans les opérations dites de deuxième génération, ont été en partie remises en cause par les opérations dites de troisième génération, fondées sur le chapitre VII, dont le mandat est coercitif. Les OMP peuvent désormais être mises en place en dépit de la volonté de l’Etat sur le territoire duquel se déroule l’opération. Ce fut le cas notamment en Somalie, au Rwanda, en ex-Yougoslavie.
La complexité des OMP aujourd’hui est telle que l’Agenda pour la paix (1992) du Secrétaire Générale, a du définir les différentes fonctions des OMP. Il distingue ainsi le rétablissement de la paix, le maintien de la paix, l’imposition de la paix et la consolidation de la paix.
- ONU comme instrument de la puissance française
La participation française à des OMP de l’ONU a toujours été dépendante de l’intérêt français.
L’engagement français répond à une volonté de puissance de la France et lui permet de s’affirmer au niveau international et d’être présent un peu partout. En outre, l’ONU permet à la France d’exercer une influence largement supérieure à sa puissance économique, démographique au niveau international du fait de sa participation aux OMP et de son siège au Conseil. De plus, l’intériorisation de la notion de droit d’ingérence humanitaire répond pleinement à la volonté française d’exporter ses valeurs issues de la Révolution. Puissance moyenne, la France a besoin de l’ONU pour pouvoir, faute d’être une grande puissance militaire, être la « première puissance humanitaire » (Bérégovoy).
Il est à noter également que la participation massive de la France à des OMP répond à ses intérêts directs de présence dans la région. Ainsi la France participe-t-elle à des OMP qui ont lieu sur ses zones d’influence traditionnelles (Cambodge, Liban, Rwanda) L’intervention en ex-Yougoslavie répond quant à elle à une volonté de stabilité en Europe.
De plus, les OMP permettent de légitimer certaines opérations françaises. On doit ainsi distinguer deux sortes d’OMP. Les OMP dirigées et lancées par l’ONU comme la Yougoslavie, le Sierra Leone, etc. Et les opérations, comme Turquoise au Rwanda, qui sont surtout des opérations françaises, habilitées et légitimées par l’ONU (résolution 929) et par le concept de droit humanitaire.
La France a donc besoin de l’ONU pour développer sa politique étrangère. Sa situation à l’ONU pourrait être résumée ainsi : « Premiers rôles et second rang »(M.C Smouts).
II. Quelle est la portée réelle de l’action de la France au sein des opérations de maintien de la paix.
1. Le poids de la France dans le maintien de la paix.
L’attachement français à la participation aux OMP va se traduire par une part importante du budget alloué aux OMP ainsi que par une contribution militaire.
Avec 1,2 Milliards de Francs en 2000 , la France est le 4eme contributeur financier. En 2000, la quote-part de la France a été fixée à 7,9%.
Chose rare, la France a toujours payé ses cotisations à l’ONU dans les temps.
La contribution militaire de la France est très importante. La France est le second contributeur militaire (derrière le Pakistan) et fut même le premier en 1993. L’importance de cette contribution financière et budgétaire ne peut être possible que grâce au soutien de l’opinion publique aux OMP. Malgré les récents déboires des OMP en ex-Yougoslavie, au Rwanda, en Somalie, les Français sont attachés aux OMP et sont prêts à en accepter les conséquences et les pertes humaines (La France a ainsi par exemple compté 53 morts en ex-Yougoslavie).
Enfin, il est à noter que la France a, au niveau constitutionnel interne, une particularité : le maintien de la paix est du ressort principalement du Président de la République. Si le Premier Ministre peut jouer un rôle dans le processus de décision dominé par le Président, le Parlement, qui pourtant déclare la guerre, n’est pas vraiment associé aux décisions et ne peut exercer qu’un contrôle à posteriori. Discutable du point de vue démocratique, cela permet cependant à la France de réagir et d’envoyer des troupes sur le terrain très rapidement.
2. Limites de l’action de la France qui reste une puissance moyenne.
En dépit de la prépondérance française sur la scène internationale, la France reste une moyenne grande puissance et connaît des limites de deux sortes :
- Les limites liées au poids de la France
- Les limites liées aux limites de l’action onusienne.
- Les limites liées au poids de la France
La France, en dépit de sa volonté de présence, se trouve confrontée à des problèmes matériels.
L’action de la France à l’extérieur se trouve limitée par une contrainte militaire et financière. L’engagement sur des terrains éloignés entraînent des coûts importants pour la France, qui, en dépit du principe de remboursement par l’ONU, subit l’essentiel de la charge. En effet, selon Monique Saliou, la France n’est remboursée par l’ONU qu’à hauteur de 30% de ses coûts et encore de façon tardive. L’importance des surcoûts
(envoi rapide de troupes et de matériel à l’étranger, coût de la sécurité des soldats, coût des soldats ( l’ONU donne aux soldats un salaire identique pour tous les pays qui est de l’ordre de 988 $ par mois et par homme , ce qui, si cela bénéficie fortement aux PED, n’est en aucun cas suffisant pour les pays développés ; de même, l’approvisionnement des soldats est jugé insuffisant. A titre d’exemple, en Bosnie, l’ONU fournissait 1 litre d’eau par soldat par jour alors que la France estimait le besoin à environ 6 litres.), coût du matériel (remplacement plus rapide, usure, perte)…
greffe les autres activités du budget de la défense. Il est d’ailleurs à noter que si les OMP ne sont pas inscrites dans le budget national voté, du fait de leur imprévisibilité’ on pourrait toutefois envisager d’incorporer à la loi de finances le coût de certaines OMP anciennes (ex : FINUL)
Les coupes budgétaires du budget de la défense à partir des années 1990 (4,01% du PIB était alloué à la défense en 1983, 3,52% en 1989, 3,26% en 1992 avec un objectif de 3% en 1997) ont dans ce contexte mis en lumière l’impossibilité pour la France de moderniser son équipement afin de répondre à ce nouveau type d’intervention.
De plus, la multiplication rapide du nombre d’OMP sur toutes les aires géographiques du monde renforce l’incapacité française de faire face à une dépense toujours plus lourde.
La crise yougoslave a mis en relief l’incapacité française, et plus généralement européenne, à mettre en œuvre de façon efficace une OMP sur le sol européen même. En effet, alors que les Etats-Unis n’entendaient pas s’engager dans ce conflit qu’ils considéraient être du ressort européen, les Européens ont été incapables de mettre fin au conflit. La crise yougoslave n’a pu être réglée qu’avec l’arrivée américaine. Il ressort de cette crise que la France, en dépit du rôle majeur qu’elle entendait jouer ( elle est à l’origine de la résolution 743 du 21 février 1992 créant la force de protection des nations unies en ex-Yougoslavie (FORPRONU) et de la mise en place de zones de sécurité), a été incapable de pacifier la zone et s’est même trouvée dans l’incapacité de se retirer du conflit. Cet épisode n’a fait que renforcer le sentiment de dépendance à l’égard des Etats-Unis sur le plan militaire et n’a fait qu’accroître le problème de la reconnaissance de l’action française par les USA.
La France en effet en dépit de son engagement actif, ne se voit pas reconnaître la place qu’elle devrait avoir au sein de l’ONU. Il est significatif que la France possède des postes nombreux à Genève mais en revanche elle n’a que très peu de représentants au sein de l’ONU à New York. La France ne dispose pas de rôle clef dans les OMP et les postes de décision administrative et financière, avec en particulier les deux départements clefs que sont le département des affaires politiques et celui des opérations de maintien de la paix, sont dominés par les anglo-saxons.
- Les limites à l’action de la France du fait des carences onusiennes.
La France se trouve également confrontée aux problèmes internes de l’ONU en matière de maintien de la paix. Parce qu’elle est présente dans les opérations, la France va se trouver associée aux échecs des opérations de l’ONU. Ainsi, les échecs dus aux carences de l’ONU vont rejaillir sur la France. La Somalie est ici exemplaire. Si la France s’est relativement bien débrouillée en Somalie dans la région de Baïdao, et si l’échec a été principalement ressenti par les Américains (qui étaient à l’origine de l’UNITAF puis qui dirigeaient la force de l’ONU UNISOM II), l’intervention en Somalie a cependant atteint l’image française qui se trouvait mêlée à cet échec retentissant.
De même, tout comme en Somalie, l’intervention en ex-Yougoslavie a pâtit de l’imbrication toujours plus nette entre militaire, civil et humanitaire dans les OMP. L’efficacité des OMP de troisième génération souffre du mélange des genres. Les OMP sont devenues « la bonne à tout faire de la sécurité internationale » (Serge Sur) et cela n’est pas sans poser des difficultés quant à la clarté des politiques et des objectifs à poursuivre. Cette imbrication de l’humanitaire et du militaire, si elle est soutenue par la France qui en est l’instigatrice, ne doit pas aboutir à des situations dans lesquelles la sécurité des armées se trouve menacée.
De cette situation, il convient de tirer les leçons et la France se doit d’envisager moins une remise en cause des interventions humanitaires qu’une clarification des OMP qui passe par une nécessaire réforme de l’ONU.
3 – La réforme de l’ONU comme nouvel enjeu de la France en matière d’opérations de maintien de la paix
S’agissant de sa participation aux opérations onusiennes de maintien de la paix, la France a tiré les leçons d’expériences qui n’ont pas été exemptes d’ambiguïtés, notamment en raison du manque d’efficacité et de crédibilité du Conseil de sécurité. La France a ainsi exposé ses éléments de doctrine en matière de maintien de la paix dans le Livre blanc sur la défense, publié en 1994, et cette réflexion a été enrichie par des travaux parlementaires, notamment le rapport Trucy (1994) et le rapport Raimond (1995). Dans ce sens, le Livre blanc sur la défense, s’il confirme l’engagement onusien de la France et sa volonté de mener une « politique volontariste » pour « conforter le rôle de l’ONU », expose néanmoins les conditions de sa participation aux opérations de maintien de la paix :
- tout d’abord, l’autorité politique du Conseil de sécurité sur les missions onusiennes doit être assurée et « l’articulation des responsabilités » entre commandement politique et commandement opérationnel doit être améliorée. Dans un premier temps, la France doit donc souligner le rôle de l’ONU comme organe de légitimation pour toute opération de maintien de la paix. En effet, la France a intérêt à favoriser le rôle de l’ONU par rapport à d’autres instances au sein desquelles elle est moins présente. Mais, son siège de membre permanent ne demeurera un vecteur d’influence pour la France que si la légitimité du Conseil demeure entière. Cela impose de l’ouvrir à l’Allemagne, au Japon et à certains grands pays en développement, tout en préservant l’efficacité d’une enceinte restreinte. La France est donc favorable à un élargissement du Conseil de sécurité, qui s’accompagne d’un renforcement de sa primauté.
Cela nécessite une clarification des rapports entre l’ONU et l’OTAN. En France, subsiste une vive méfiance vis-à-vis de la gestion des crises par l’OTAN elle-même ; car l’OTAN est toujours plus ou moins considérée comme une organisation « dominée » alors que l’ONU serait « non dominée ». Malgré tout, l’attitude française a quelque peu évolué vers la nécessité d’employer une organisation dotée d’une structure militaire (OTAN) dans le cas des opérations d’imposition de la paix. En contrepartie, la France exige que le Conseil de sécurité donne un mandat précis à l’OTAN et contrôle en permanence l’application de l’opération. De plus, la France préconise aussi un recours croissant au chapitre VIII de la Charte des nations Unies relatif aux accord régionaux permettant au Conseil de sécurité de déléguer à certaines organisations régionales (OTAN, OUA, UEO) la gestion d’opérations de maintien de la paix. La France a ainsi contribué au renforcement des capacités africaines de maintien de la paix dès 1998 (RECAMP). Tout cela vise à renforcer la capacité d’action des forces de l’ONU sur le terrain. Dans ce sens, la constitution d’un réservoir de forces à la disposition du Secrétaire général est pour la France la 1ère priorité : il s’agirait en fait de forces de réaction rapide, nommées « forces en attente » ou « stand-by ».
- en second lieu, « l’expertise militaire mise à la disposition du Conseil de sécurité » doit être renforcée.
- enfin, l’engagement français est subordonné à des critères politico-militaires précis. Il s’agit donc de clarifier le mandat de l’ONU « pour en finir avec les zones grises » (Zorgbibe) entre maintien de la paix et imposition de la paix, identifier le type d’intervention à mener, définir un mandat militaire précis et clarifier le financement des opérations de maintien de la paix, notamment en regroupant toutes les opérations dans un budget unique. Par ailleurs, selon le Livre blanc, le niveau de l’engagement français doit être en adéquation avec les priorités stratégiques de la France et avec les intérêts qu’elle entend défendre à travers le monde.
Conclusion
En dépit de la multiplication des échecs récents, du fait de l’effet multiplicateur de la puissance française à l’étranger par l’ONU, il est peu probable que la France se retire des OMP. Si le besoin d’ONU est clair, la France entend tirer les leçons des revers passés et va augmenter la conditionnalité de sa participation aux OMP. La France souhaite, par la réforme de l’ONU, minimiser les carences intrinsèques aux nouvelles opérations de maintien de la paix.
Le deuxième enjeu de la France en matière de
maintien de la paix va être le rôle futur joué par la PESC. Selon le chapitre
VIII de la Charte, à l’article 53, la PESC peut collaborer avec l’ONU et
participer aux OMP avec l’autorisation du conseil de sécurité. Le maintien
de la paix de l’ONU pourrait ainsi devenir un enjeu politique européen pour
la France.